samedi, novembre 18, 2006

Roman, la fin. Je dois partir

Mon visa russe a expiré. Le tien était encore valable quelques années. Tu avais besoin d’un visa pour aller en France. Autant dire qu’il ne serait pas facile de se revoir.

Et aujourd’hui je dois partir. C’est pour cela que nous avons si mal. Je dois aller à l’aéroport. Le chauffeur de taxi attend dans sa voiture. Je n’ai pas voulu que tu m’accompagnes à l’aéroport en métro, sous prétexte que j’avais trop de bagages. Mais en réalité, à quoi bon faire durer la souffrance une heure de plus ?
Nous ne pouvons pas nous détacher. Tout à l’heure, nous avons fait l’amour pour la dernière fois, avec toute l’énergie du désespoir. C’en était presque violent. C’était la dernière fois.

Ce matin, en me réveillant, j’ai traversé le palier du foyer et suis allée dans ta chambre. Tu pleurais dans ton lit. Je me suis allongée à côté de toi. Tu sortais à peine du sommeil, et pourtant tu étais tout froid. Tu as pleuré plus fort quand je suis venue. Et puis il a bien fallu se lever pour de bon, s’habiller. Je t’ai donné ma vaisselle, ce qui restait dans le frigo. Mes assiettes vides faisaient piètre mine sur le buffet de ta cuisine.

Arriva un moment où j’ai dû m’empêcher de penser ; cela faisait trop mal d’être consciente que je m’en allais. Pleurer n’aidait pas. J’étais épuisée. Arrive un moment où on a mal physiquement.
J’ai cru devenir folle. J’ai vraiment cru devenir folle. J’avais envie de vomir. Je n’avais plus envie de respirer. Je ne pouvais plus te regarder. Tu me demandais : « pourquoi ne veux-tu pas me regarder ? » Ce n’est pas que je ne voulais pas. Je ne pouvais simplement pas.
Nos têtes étaient brûlantes. Trop lourdes. Un énorme marteau tapait à l’intérieur, de plus en plus fort. Il fallait regarder ailleurs, essayer de fixer son attention sur une autre chose. Qu’y a-t-il d’intéressant dans la chambre ? La poignée de porte ? Le radiateur ? Le rideau marronnasse ? Le bureau vide, la valise fermée. Le lit auquel on a enlevé les draps. Pourquoi ne veux-tu pas me regarder ? Je deviens folle.
La douleur nous fait suffoquer. Ma tête est brûlante. Viens, on va se laver les cheveux ; Ca nous rafraîchira. Oui, c’est ça, on va se laver les cheveux. Un peu d’eau fraîche. Ca nous remettra les idées en place. L’eau coule. Tu me laves les cheveux. C’est vrai que le visage est plus frais. Mais à l’intérieur, c’est tout aussi brûlant.

Le taxi s’impatiente. Il faut agir. Je ne peux pas rester. Il faut que je me détache de toi, cher Hassan, que je reverrai cet été, peut-être. Et si je restais ? Non. Je ne peux pas. Ma vie est ailleurs. Elle n’est pas ici. Il faut que je parte. Ce voyage à Moscou n’était qu’une parenthèse. C’était voulu ainsi. Mais pourquoi doit-il rester une parenthèse ? Pourquoi pas le début de ma vraie vie ? Non, c’est trop tard, il faut partir… Les bagages sont faits, j’ai déjà dit adieu.
Tes yeux noirs aux longs cils, ta peau, tes cheveux noirs, tes mains longues et fines, ta bouche… Je les regarde une dernière fois. Je dois m’en souvenir. Je dois les ranger dans ma mémoire. Ils doivent y rester pour toujours.
Je te regarde une dernière fois dans les yeux. J’essaye de mettre dans mon regard de la force, j’essaye de te la transmettre. Tes yeux à toi n’expriment que la détresse. Je te promets qu’on tiendra. Je te promets qu’on y arrivera.

Je monte dans la voiture. Le taxi démarre. On sort du parking, la voiture tourne à droite dans la rue. Je sais que tu regardes la voiture s’éloigner. Je ne peux pas me retourner pour te voir. Je ne peux pas te voir seul, désemparé, dans la rue. Dans le froid. Seul. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de me retourner, pour te regarder une dernière fois. Seul. Debout mais brisé.

9 commentaires:

REGOR a dit…

Wouah c'est dur !! Ca ma fait pleurer. Pourquoi , l'amour qui s'arrête peut tant nous faire souffrir?

Onassis a dit…

Très triste. Romantiquement triste. Bravo chère Blanche.

Blanche a dit…

@Onassis: merci!

@Regor: je pense malheureusement que nous avons tous vécu des moments d'amours contrariées, impossibles, etc...
D'un autre côté, je ne sais pas si c'est si 'malheureux' que cela, car une fois que l'on n'en souffre plus (ou presque plus), on est heureux d'avoir eu la chance de le vivre, et on le garde comme qqch qui n'appartient qu'à soi, et qui nous a permis de nous construire tel que l'on est aujourd'hui.
Et puis, pour le futur, cela permet peut-être aussi de souffrir moins?

Christophe Berget a dit…

é bé.....Très touchant, pfff, je savais qu'il ne fallait pas le lire un dimanche...

Mylène a dit…

Très touchant, en effet !!

Seulement, une petite interrogation persiste dans mon esprit... l'épisode 1 commence par "Te souviens-tu de notre rencontre ?" Donc... il se sont revus ? Quand ? Où ? Pourquoi ?

Hihi dsl... je suis curieuse de nature ;)

Blanche a dit…

Ah, Mylène, il ne me manque plus que trouver un éditeur pour raconter la suite de l'histoire!:))

Mylène a dit…

Eh bien je te souhaite de le trouver... j'la veux la suite moi !! ;)

Jo a dit…

J'en ai des frissons partout... Comment faire mentir 'les histoires d'A finissent mal en général...'. Mais je crois n'être pas tout à fait objective en ce moment !
Moi aussi je veux savoir ils se sont revus ?? Allez, pitié Blanche ne nous fait pas languir ainsi, c'est trop cruel !

Rédactrice chauve a dit…

Moi, je voudrais savoir si le "je" narrateur a revu ou reparlé à cet amoureux...