Ses jambes sont lourdes. La porte du métro s’ouvre. Un gouffre entre la rame et le quai. Quelques centimètres, mais il lui font peur. Quel pied avancer en premier ? Et si elle trébuchait dans la fente ?
Il faut se lancer, sinon le métro va sonner et repartir. Elle avance un pied hésitant, se cramponne à la porte ouverte, puis son pied touche lourdement le quai. Le deuxième, avec précaution, s’extrait de la rame. Elle peut lâcher la porte, elle est sur la terre ferme.
Les gens sur le quai se hâtent et la bousculent. Il faut les éviter, se frayer un chemin vers la sortie. Elle se fait toute petite, traverse le quai pour longer le mur, tente de ne pas être heurtée par les obstacles. Elle a oublié sa canne à la maison, et serre fort contre elle son sac à main, comme si lui pouvait la protéger de la chute.
Elle avance à petits pas vers les escaliers. Ses jambes n’obéissent plus comme avant, et ses pieds enflés la font souffrir dans ses chaussures. Courage, se dit-elle, dans cinq minutes elle sera chez elle.
Si Henri est d’accord, elle prendra le taxi, à partir de maintenant. L’idée que ce périple en métro est peut-être le dernier la réconforte.
Elle arrive devant l’escalier, attrape la rampe. Marche par marche, elle le gravit ; toujours le pied droit en premier, celui-là reste un peu plus vaillant que le pied gauche. Les gens pressés qui montent et qui descendent la frôlent, mais elle tient bon la rampe. Elle n’a pas l’idée de leur envier leurs jambes fringantes ; elle est concentrée sur sa difficile tâche.
Plus qu’une seule marche ; elle est presque arrivée. Restera juste la lourde porte en verre à pousser. Ces portes sont dangereuses : un coup de vent, et elles se retournent contre vous. Et du vent, il y en a beaucoup dans les bouches de métro.
Un jeune homme passe devant elle et pousse la porte. Formidable, se dit-elle : il va lui tenir la porte et elle n’aura pas à la pousser de toutes ses forces pour pouvoir sortir.
Mais le jeune homme passe son chemin. Il lâche la porte derrière lui. Elle avance les mains par réflexe, pour retenir la porte qui va se jeter sur elle. Mais son sac la gêne. Et la porte est trop lourde.
Le poids de la porte et la force du vent l’atteignent en pleine poitrine. Elle perd l’équilibre. Derrière, l’escalier.
La chute la précipite. Personne derrière elle pour la retenir de tomber. Son petit corps engourdi dévale les escaliers, puis quelqu’un appelle les pompiers.
Par miracle, elle ne s’est rien cassé. Juste quelques bleus sur son corps endolori.
Une âme charitable lui a gardé son sac pendant qu’elle avait perdu connaissance.
Mais il faut imaginer la frayeur pendant la chute, et le malaise pour quelqu’un de si discret d’être l’objet de toutes les curiosités, là, sur le brancard des pompiers.
lundi, février 19, 2007
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4 commentaires:
c'est pas joyeux cette histoire...Malheureusement, ça doit être fréquent.
C'est pas drôle de vieillir!
comment notre société en a t-elle pu arriver là ?
je découvre votre blog et m'y égare avec délice....
Force de ce texte qui décrit si bien ce qui nous attend plus tard. Ayant longtemps pris le métro, voilà qu'à cette lecture j'avais 80 ans, traînant mon arthrose en gravissant l'escalier jonché de mégots....
Bravo aussi pour votre pugnacité à prendre l'avion, avec toutes ces petites contraintes.... L'aventurier des temps anciens serait bien en peine aujourd'hui!
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