Dix ans que nous ne nous étions pas vus. 18 ans, 28 ans.
Moscou, Paris.
Suis-je la même ?
Physiquement, les rides ne sont pas encore vraiment là, et l’abandon de la teinture rouge pour les cheveux m’aide à me dire qu’au lieu de vieillir, je me suis ‘bonifiée’.
Mentalement, j’espère ne pas avoir trop changé ; mûrie, oui, mais pas pleine des certitudes finales de celle qui s’est fait son opinion après avoir questionné.
Car c’est cela le risque le plus cruel : l’esprit fermé de l’adulte après s’être ouvert à l’adolescence.
J’ai rendez-vous avec Ahmed devant l’opéra.
Les gens vont et viennent, se rencontrent et repartent ensemble. Je les scrute, à la recherche d’une image du passé ; ils me remarquent, je détourne les yeux.
Ahmed, colocataire d’Hassan l’année de mon hiver à Moscou ; Hassan, mon premier amour.
Vais-je le reconnaître ? Aurons-nous des choses à nous dire ?
Soudain, je le vois, qui traverse la rue, les mains dans les poches de son manteau noir. C’est le même Ahmed. Un peu enrobé par ces dix ans, certes, mais lui, sans aucun doute.
Quel soulagement. Il me voit, me reconnaît.
Quelle joie, cette capsule à deux places qui remonte dans le temps, devant cette carte postale sans âge.
Nous nous embrassons.
Que fais-tu à Paris, tu n’as pas changé, quoi de neuf depuis dix ans ?
Nous nous attablons dans la vitrine d’un bistro.
Ahmed termine ses études de dermatologie à Paris, avant de rentrer au Maroc. Là-bas, il devra encore faire un an de stage afin d’obtenir une équivalence qui l’autorisera à exercer.
Je m’étonne : un diplôme français n’est-il pas valable au Maroc ?
Non, de la même façon qu’un diplôme marocain n’est pas valable en France.
J’ai un honteux mouvement de l’esprit, que je réprime suffisamment vite pour ne pas l’exprimer, mais pas assez pour ne pas l’avoir : la deuxième proposition sonne compréhensible, mais pas forcément la première.
J’ai honte, je suis devenue un de ces millions d’occidentaux bourrés de préjugés.
Moi qui ai passé ma vie à lutter contre ces vérités toutes faites au sujet des pays de l’est (ma zone de prédilection, comme vous le savez) :
« La Russie est extrêmement dangereuse » : je ne me suis jamais fait agresser à Moscou (touchons du bois).
« Quelle idée d’accepter dans l’Union Européenne des pays aussi sinistrés que ceux d’Europe centrale » : aujourd’hui, les deux pays de l’UE avec la plus forte croissance sont, après l’Irlande… l’Estonie et la Slovénie.
Mais là… Que dire… Jamais une telle pensée ne me serait venue à l’esprit il y a dix ans, quand nous refaisions le monde avec Ahmed et Hassan, dans leur chambre du foyer pour étrangers de la rue Chabolovka…
Devient-on con quand on vieillit ?
samedi, février 03, 2007
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7 commentaires:
On ne devient pas con, c'est quelque chose avec lequel on naît. Par contre, nos idées évoluent. Ma mère a l'habitude de dire qu'il n'y a que les fous qui ne changent pas d'idée...
Ta petite histoire est touchante. Il y a de ces personnes que je n'ai pas vues depuis si longtemps...et que j'aimerais tellement rencontrer moi aussi.
Te réflexion n'est pas conne. Moi-même, Marocain, je suis surpris. Parce que le Maroc, complexe d'infériorité oblige, s'est toujours mis à genoux pour la France et tout ce qui est Français. Peut-être les choses sont-elles en train de changer.
Je ne crois pas qu'on devienne con en vieillissant(du moins, je l'espère).
Je crois qu'on perd plutôt le doute et l'ouverture que la naïveté de la jeunesse nous donne ?!
Quoi qu'il en soit, elles semblaient émouvantes ces retrouvailles ;)
Pourquoi trouves-tu ta pensée conne, Blanche? Très rares sont les pays à accepter les diplômes étrangers, quels qu'ils soient. Sais-tu, avec mes trois ans d'université en traduction anglais-français, j'ai dû passer un test d'anglais de niveau troisième en France!
Doit-on y voir nécessairement du racisme ou de la xénophobie? Bon, d'acord, de la connerie, peut-être. ;)
Il y a des réfugiés économiques qui viennent du Maghreb (etc.) pour s'installer au Canada et en France (etc.), et non l'inverse. Ça induit des perceptions nécessairement, qu'on le veuille ou non. Et qu'on peut revisiter, certes!
Quand on pense, il y a toujours quelque chose de nouveau --- et ce n'est pas con du tout. C'est la vrai vie, jeune ou vieille. ;>)
Merci pour votre soutien!:)
Caroline: tu as tout à fait raison, ce sont des perceptions induites par les flux d'immigration qui vont essentiellement dans le même sens.
En ce qui concerne le Maroc, on retient donc majoritairement ce flux, et on oublie (ou on ne sait pas) que les études supérieures sont en français, que les professeurs sont souvent des personnes qui enseignent dans les universités françaises en même temps, et que donc les diplômes sont quasi-équivalents...
C'est bien ça, Onassis, n'est-ce-pas?
Mais maintenant je le sais, et je passe l'information!:)
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